"Nous ne pouvons pas éviter la fuite de requérants"

Interview avec Mario Gattiker, secrétaire d’État aux migrations, 9 septembre 2016: Le Temps, Magalie Goumaz.

Le Temps: "Plusieurs mesures ont déjà été prises pour éviter que des requérants disparaissent dans la nature. Le phénomène est nouveau pour la Suisse et il a pris une ampleur considérable cet été."

A peine arrivés en Suisse, entre 50 et 60% des requérants disparaissent des centres d’enregistrement de la Confédération. Un phénomène nouveau. Secrétaire d’Etat aux migrations (SEM), Mario Gattiker s’en explique.

Des requérants qui disparaissent à peine arrivés en Suisse. Depuis quand date ce phénomène?
Nous avons toujours eu des cas de requérants qui disparaissent, notamment dès le moment où ils savent que leur demande d’asile est rejetée. Tous les pays européens connaissent ce phénomène. Ce qui est nouveau par contre, c’est que depuis le début de l’été, nous constatons que des personnes s’en vont alors qu’elles sont à peine arrivées sur le territoire suisse. Tout simplement parce qu’elles ne veulent pas rester en Suisse mais continuer leur route vers le Nord.

Comment est-ce possible?
Certains requérants franchissent notre frontière avec l’Italie et disent vouloir déposer une demande d’asile en Suisse, ce qui leur permet d’entrer sur le territoire pour se rendre dans notre centre de Chiasso, avant d’être dirigés vers un autre centre en Suisse. Entre les mois de juin et d’août, entre 20 et 40% des requérants ont disparu juste avant de déposer formellement une demande d’asile, et environ 20% dans les premiers jours après le dépôt de la demande. On peut ainsi estimer qu’entre 50 et 60% des personnes quittent nos structures. Mais cette proportion de départs non-contrôlés peut varier d’une semaine à l’autre. Toutefois, il faut préciser que ces personnes ont passé un contrôle de sécurité par les garde-frontières. Ils ne représentent pas un danger pour la population suisse.

Mais vous avez pris des mesures?
Les centres fédéraux ne sont pas des structures fermées. Les requérants d’asile sont libres de leurs mouvements et doivent juste respecter certaines règles. Cependant, plusieurs mesures supplémentaires ont été prises. Nous avons accéléré la prise en charge à Chiasso. De plus, les requérants ne circulent plus tout seuls entre Chiasso et les autres centres. Maintenant, les transports se font en bus et sont coorganisés avec les garde-frontières et les compagnies de sécurité. Nous évitons également dans la mesure du possible de placer ces personnes dans nos centres à Kreuzlingen ou à Bâle, à proximité de la frontière allemande. Enfin, nous intensifions les collaborations et les échanges d’informations entre les garde-frontières italiens, suisses et allemands. Malgré les efforts déployés, nous ne pourrons jamais entièrement prévenir tous ces départs.

En concluez-vous que la Suisse est bel et bien un pays de transit vers les pays du Nord?
La Suisse n’est pas un pays de transit et nous nous efforçons de ne pas le devenir. Ces disparitions sont le résultat de plusieurs changements en Europe. Certaines destinations sont davantage privilégiées que d’autres en fonction des politiques qui y sont menées. Les migrants savent maintenant que la Suisse applique les accords de Dublin de manière conséquente et qu’ils vont être renvoyés rapidement en Italie s’il s’agit de leur pays d’entrée. L’Italie a d’ailleurs fait beaucoup de progrès dans l’enregistrement quasi systématique des personnes qui arrivent sur son sol, ce qui facilite la procédure. Les requérants qui souhaitent se rendre en Allemagne ont l’espoir de pouvoir rester plus longtemps avant que les autorités ne statuent sur leur sort et ils pensent y trouver un travail.

On s’attendait à un été très difficile, avec de nombreuses arrivées de migrants, comme l’an dernier. Cela se confirme-t-il?
Effectivement, en début d’année, nous tablions sur 40’000 nouveaux requérants, comme en 2015. En janvier 2016, les chiffres étaient même déjà bien supérieurs à ceux de janvier 2015. Mais la route des Balkans a été fermée. La Turquie accueille un nombre important de requérants et contrôle mieux ses côtes. Enfin, il y a nettement moins d’Erythréens arrivés en Italie cette année. Si bien que nous sommes actuellement plus proches des chiffres de l’année 2014 que de l’année 2015.

Il n’y aura pas de crise des migrants en Suisse?
Nous sommes effectivement loin d’une situation d’urgence. Et au mois d’août, nous avons communiqué aux cantons qu’il fallait plutôt tabler sur 30’000 nouvelles demandes d’asile en 2016. Mais c’est tout de même beaucoup. Notre plan d’urgence reste en vigueur car il peut toujours y avoir des événements inattendus. Les situations en Syrie et en Irak restent préoccupantes. Et il y a aussi le cas de la Libye, pays de transit de nombreux requérants africains qui fuient la pauvreté. Les côtes n’y sont plus contrôlées par une autorité unique mais par différents groupes aux intérêts divers. Il ne faut pas oublier l’Ukraine, qui reste fragile. Gérer la migration et protéger les réfugiés resteront un défi pour les prochaines années.

La solidarité a-t-elle toujours une place dans la politique suisse?
Nous sommes les premiers à plaider pour davantage de solidarité, mais il doit s’agir d’une politique commune des pays européens. Un programme de relocalisation sur une base volontaire a été instauré et nous y participons. Un accord avec l’Italie nous a déjà permis d’accueillir 34 requérants. 38 autres sont arrivés cette semaine, essentiellement en provenance d’Erythrée. Elles sont arrivées jeudi à Zurich et seront réparties dans différents centres en Suisse. 40 autres personnes sont dans l’attente de leur transfert et 100 dossiers sont en cours d’examen. La Suisse a demandé à l’Italie de déposer 100 autres dossiers. D’ici 2017, nous sommes prêts à accueillir jusqu’à 1500 requérants d’asile afin de soulager l’Italie et la Grèce.
La Suisse accueille ceux qui en ont besoin. Notre taux de protection dans l’octroi de l’asile ou d’une admission provisoire se situe environ à 50%.

Vous êtes-vous rendu à Côme, près de la frontière suisse, où sont toujours massés des migrants?
Je me suis rendu régulièrement à la frontière italo-suisse et à notre centre de Chiasso. Les campements à Côme sont sous la responsabilité des autorités italiennes. Comme vous, j’ai vu les images de femmes et d’enfants qui se sont installés dans des parcs et cela me touche bien évidemment. Mais il faut tenir compte que ces migrants ne veulent pas déposer de demandes d’asile en Italie et ne veulent pas rejoindre les infrastructures qui leur sont destinés. Ils veulent poursuivre leur chemin vers le Nord. Que faire? J’ai rencontré à plusieurs reprises les garde-frontières suisses. Les deux conseillers fédéraux en charge du dossier ont décidé de créer un groupe de coordination, aussi pour analyser les accusations selon lesquelles les droits des migrants ne seraient pas respectés.

La réforme de la procédure d’asile, acceptée par les citoyens suisses en juin dernier, va se mettre en place par étape. En Suisse romande, il manque encore un centre pour les départs, dans le canton de Vaud. Où en est-on?
Les citoyens suisses ont voté en faveur des procédures accélérées en juin dernier. Nous comptons bien mettre en œuvre rapidement le nouveau dispositif qui nécessite effectivement d’importantes infrastructures. Il s’agit de bâtiments à rénover ou à construire. Actuellement onze lieux sont déjà définis. Nous n’avons pas encore trouvé de solutions avec le canton de Vaud pour y implanter un centre de départ. Mais je n’ai aucun doute que nous allons la trouver.

Le canton de Vaud justement se distingue des autres cantons par son plus faible taux de renvois de requérants déboutés. Allez-vous sévir?
Cet été et pour la première fois, nous avons publié un monitoring qui montre les différences cantonales en matière de renvoi. Et il est vrai que le canton de Vaud se distingue, mais il n’est pas le seul. Dès lors, nous pourrions appliquer la loi et retenir des indemnités que nous versons aux cantons pour l’accueil des requérants déboutés. Le législateur, qui a accepté la révision de l’asile en juin dernier, nous a donné cet instrument. Mais ce n’est pas ce que nous recherchons. Nous préférons collaborer et faire en sorte que tout le monde avance dans la même direction. Notre objectif est que la même politique soit appliquée uniformément dans toute la Suisse.

Dernière modification 09.09.2016

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