"Etre la cible de l’UDC me renforce dans mon rôle de conseillère fédérale"

Intervista, 1° aprile 2023: Le Temps; David Haeberli

Elisabeth Baume-Schneider. La Jurassienne n’a pas attendu la limite symbolique des 100 jours pour s’exprimer en tant que conseillère fédérale. Elle donne ses priorités sur l’asile, l’Ukraine et les questions de société.

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Son élection, le 7 décembre 2022, avait secoué la Berne fédérale. Personne n’avait prévu que le siège socialiste de la Bernoise Simonetta Sommaruga au Conseil fédéral reviendrait à la Jurassienne Elisabeth Baume-Schneider. Une campagne éclair durant laquelle elle s’est présentée telle qu’elle est – directe, déterminée et terrienne – a réussi à forcer le destin. La Jurassienne a succédé à Karin Keller-Sutter à la tête du Département de justice et police. La tradition veut que la nouvelle ministre observe une période de silence pendant les 100 premiers jours de son mandat. Elisabeth Baume-Schneider ne cache pas que l’exercice a été difficile. D’ailleurs, elle n’a pas tenu: elle s’est exprimée en conférence de presse 87 jours après sa prise de fonction du 1er janvier. Elle a reçu Le Temps et Blick dans son bureau de l’aile ouest du Palais fédéral. Un espace à la décoration spartiate: Karin Keller-Sutter l’a quitté avec ses meubles, et Elisabeth Baume-Schneider n’a pas encore pris le temps de parfaire l’aménagement.

Une crise migratoire se profile, avec 40 000 nouveaux arrivants annoncés. Cela vous effraie-t-il?
Non, ça ne me fait pas peur. Mais c’est un défi extrêmement important, qu’on doit continuer à relever avec les cantons et les communes. Nous discutons avec ma collègue Viola Amherd pour avoir des possibilités d’hébergement durant l’été. Le chiffre que vous citez, c’est le scénario élevé. On ne peut pas l’exclure, mais ce n’est pas le plus réaliste. On est plutôt entre 25 000 et 27 000 personnes. Ce qui crée des tensions, c’est la conjonction des demandes d’asile et l’accueil des personnes qui viennent d’Ukraine dans le cadre du statut de protection S. Cela a provoqué du retard dans le traitement des demandes d’asile, mais depuis le mois de février, nous sommes en mesure de réduire le nombre de dossiers en suspens.

On ne vous a pas entendue sur cette affaire dans la commune argovienne de Windisch, où il avait été annoncé que des personnes avaient dû quitter leur logement pour faire de la place à des requérants, ce qui s’est révélé inexact. Qu’en dites-vous?
Si l’on suit cette histoire jusqu’à la fin, on peut parler d’une cacophonie de communication entre une présidente de commune, le responsable au niveau cantonal et le propriétaire des bâtiments. La Confédération n’avait strictement rien à voir dans le fait qu’un propriétaire décide de mettre un terme aux baux en disant que, possiblement, il allait accueillir des requérants d’asile. Ce cas est cependant un sismographe; il révèle des problèmes qu’il faut prendre au sérieux, notamment la tension sur le marché immobilier. Mais on ne peut pas jouer des populations vulnérables les unes contre les autres.

Depuis votre élection, l’UDC a fait de vous une cible, vous rendant responsable des problèmes liés à la migration en cette année électorale. Comment réagissez-vous?
Ce n’est pas un plaisir, mais cela ne me fait pas peur. Ça me conforte dans mon rôle de conseillère fédérale qui prend des responsabilités et apporte des réponses. Derrière l’asile, il y a des drames humains à éviter. La loi est faite pour apporter une protection, mais il faut aussi respecter le droit et être ferme quand les personnes n’ont pas droit à l’asile. Si l’UDC me prend pour cible, elle ne doit pas oublier le président Poutine: il a provoqué une guerre tragique qui a mené des dizaines de milliers de personnes jusqu’en Suisse, des millions de personnes en Europe. Les défis de la migration se vivent dans notre pays, mais aussi au niveau européen. On doit travailler en bonne intelligence et de manière très pragmatique avec les autres pays européens, par exemple dans le cadre des réunions de ministres des pays Schengen responsables de la migration, auxquelles je participe.

Votre collègue Alain Berset a parlé de sa préoccupation concernant «l’ivresse de la guerre». Qu’en pensez-vous?
Je ne vais pas qualifier le propos, mais je partage le fait que nous ne devons pas répondre à la guerre par la guerre, aux armes par les armes. Je trouve extrêmement intéressant que la Suisse réponde avec ses propres outils que sont le droit international et les Conventions de Genève, qui ouvrent des possibilités d’aide humanitaire. Je suis très fière que la population suisse accueille tant d’Ukrainiennes et d’Ukrainiens avec beaucoup d’ouverture, de bienveillance et d’envie de se sentir utile.

Plusieurs ONG demandent la fin des renvois vers la Croatie, où des mauvais traitements sur les migrants ont été documentés, les fameux «push-back». Quelle est votre position?
Je dénonce ces push-back, qui sont inadmissibles. On sait qu’il y a eu des situations de violence physique, de viol, de non-respect des droits humains aux frontières de la Croatie. On en a discuté avec les autres pays européens et nous y portons toute l’attention nécessaire. Mais il n’y a pas actuellement de raison de suspendre les renvois. Il n’y a pas de décision du Tribunal fédéral ou de la Cour européenne des droits de l’homme, qui constateraient une violence systémique à l’encontre des personnes renvoyées à Zagreb.

Vous voulez une loi sur l’éducation non violente. Cela interviendra-t-il avant l’été?
Nous mettons en œuvre un mandat du parlement. Une consultation des offices est en cours sur un projet qui inscrit dans la loi un concept qui valorise une éducation non violente pour les enfants. Il faut donner un signal clair: la violence dans l’éducation des enfants est inadmissible.

Le Conseil fédéral pensait jusque-là que les dispositions du droit pénal suffisaient. Quelle différence cette loi apporterait-elle?
Le droit pénal arrive à la fin d’un processus pour sanctionner des faits de maltraitance. Etablir que l’éducation des enfants dans la vie familiale doit être non violente, c’est différent. Il faut montrer que la société a des attentes, mais qu’elle va accompagner les familles de manière préventive pour éviter les situations de maltraitance, voire de violence. Si je suis sensible à ces questions, c’est aussi par rapport à mon parcours de vie dans le domaine du travail social.

Le texte en consultation fait la différence entre une violence «dégradante» et une autre qui ne le serait pas. Que faut-il comprendre?
Si votre enfant se débat au moment de se faire vacciner parce que la plupart n’aiment pas les piqûres, vous le maintenez fermement. Si vos enfants turbulents courent en direction de la route, vous allez les retenir. Voilà ce qui serait considéré comme une violence acceptable. C’est une violence par laquelle un adulte protège un enfant. Il ne s’agit pas de faire une police de la petite tape sur la main. On cherche à éviter l’emballement, l’enclenchement de situations de violence. Cette loi est aussi faite pour qu’on ne les banalise pas, qu’elles soient physiques ou psychologiques. Je crois qu’elle montre aussi une responsabilité à l’égard des enfants et qu’on ose entrer dans la vie des familles quand ça ne joue pas.

Tous les parents ont été poussés à bout par leurs enfants. Avez-vous donné des gifles aux vôtres?
Non, mais il m’est arrivé de les agripper fermement quand ils se mettaient à grimper trop haut sur un arbre.

Comment les parents doivent-ils faire dans une situation chaude?
Je ne donne pas de consultation pour parents violents. Mais il existe des mécanismes pour anticiper la colère qui monte dans une situation de crise: envoyer sa petite fille ou son petit garçon jouer dans sa chambre pendant qu’on se calme, par exemple. Une discussion au sein du couple peut aider à faire baisser la tension. Mes fils, c’est mon mari qui les a beaucoup élevés, et ils vont très bien. Donc je vais vous donner son adresse! (Rires.)

Vous voulez agir contre les violences sexuelles. Les statistiques indiquent une hausse des viols. Comment l’expliquez-vous?
Un des éléments de réponse est qu’on a beaucoup plus parlé des situations de violence, grâce notamment au débat sur la modification du Code pénal. Un véritable changement de paradigme est intervenu sur ce que c’est que le viol. On a arrêté de penser que c’est uniquement la pénétration d’une femme par un homme. On a aussi admis que le viol intrafamilial était possible. Je veux penser que la parole s’est libérée; elle est aussi mieux accueillie dans les corps de police. Il faut continuer à valoriser cette prise de conscience et ce travail tout au long du processus qui suit le dépôt d’une plainte. Parce que la personne a le droit d’être accompagnée pour qu’elle ne devienne pas victime une seconde fois.

Concernant les couples lesbiens qui ont des enfants, vous voulez renforcer le lien entre la mère non biologique et l’enfant. En allant plus loin, voulez-vous légiférer sur la question de la gestation pour autrui?
Il y a des interventions parlementaires sur la gestation pour autrui. On ne peut pas ignorer que bon nombre de couples vont à l’étranger pour réaliser leur désir d’enfants. Je trouve que quand on exporte nos questions éthiques, ce n’est jamais ni mature ni juste au niveau du respect des personnes. Je ne vois pas en quoi une personne en Espagne ou ailleurs serait moins digne de protection qu’ici. Il s’agit donc de voir si les réponses juridiques sont adaptées pour des situations qui sont de plus en plus nombreuses.

Concernant Credit Suisse, la population a du mal à comprendre qu’aucune condition n’ait été imposée par le Conseil fédéral dans ce rachat pour protéger les emplois.
On se situe dans une zone sensible entre le rôle de l’Etat en termes de protection institutionnelle et la responsabilité des acteurs sur le terrain. Je pense qu’il faut décorréler la décision juridique du sentiment de la population. Il est naturel qu’émergent des questions sur le recours au droit d’urgence. On peut comprendre qu’il existe des incompréhensions ou de la colère par rapport aux sommes qui sont mentionnées. Personne n’arrive à s’imaginer ce que 259 milliards représentent. Mais il faut garder à l’esprit que c’est un dispositif financier, comme il y en a eu pour Axpo ou Alpiq. Si le mécanisme fonctionne, il n’y aura pas d’argent versé et ça, c’est important.

Avez-vous, comme votre collègue Karin Keller-Sutter, un compte chez Credit Suisse?
Non, mes économies sont placées à la Banque cantonale du Jura.

Un accord tripartite sur la question de Moutier a été annoncé. En êtes-vous satisfaite?
Oui, je suis satisfaite et reconnaissante envers les cantons du Jura et de Berne, et leurs délégations respectives, de leur maturité dans la discussion pour permettre à Moutier et aux deux cantons de se projeter dans l’avenir. L’étape essentielle, c’est l’accueil de la ville de Moutier au 1er janvier 2026. C’est vrai qu’il y avait un désaccord sur les flux de redistribution de la péréquation financière. Cela donnera lieu à une conférence de presse au mois de mai. Maintenant, il faut apaiser le vivre-ensemble à Moutier. S’il n’y avait pas eu d’accord sous ma responsabilité de médiatrice, les titres de la presse régionale auraient certainement dit que ma présence était source de crispations dans le mouvement de l’histoire.

Info complementari

Dossier

  • 100 jours en fonction : la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider présente ses priorités

    Protection et participation : tels sont les deux axes autour desquels la conseillère fédérale Elisabeth Baume-Schneider a décidé de structurer son action. Le 27 mars 2023, devant les médias à Zurich, la cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP) est revenue sur ses 100 premiers jours au Conseil fédéral et a présenté ses priorités politiques : elle entend notamment accroître la participation au marché de l’emploi des personnes qui ont fui l’Ukraine et renforcer la protection contre les violences dans la famille.

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Interviste

Ultima modifica 01.04.2023

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